Séisme au Japon, retour sur les conséquences

Presque deux semaines après le terrible tremblement de terre du Japon (rappelons que le 11 mars dernier, le tremblement de terre a atteint la hauteur de 9.0 sur l’échelle de Richter, le classant immédiatement comme le plus puissant de l’histoire du Japon et parmi les 5 plus violents au monde depuis 1900. Par ailleurs, le tsunami qui l’a suivi était sans doute deux fois plus haut que le pire des tsunamis prévus dans un pays pourtant très bien préparé), il est temps de s’arrêter sur la situation industrielle au Japon et sur les conséquences prévisibles pour l’industrie de la photo.

Pour mémoire, Yves Roumazeilles, l’auteur de cet article et créateur du site YLovePhoto travaille pour l’industrie électronique dans l’automobile. Sans révéler d’informations confidentielles liées à cette activité, ce métier lui permet de faire certains parallèles qui sont exploités pour mieux éclairer et expliquer les commentaires qui apparaissent ici.

On a rapidement appris que certaines usines avaient fait l’objet de destructions ou de dégâts liés au tremblement de terre et l’on commence à avoir quelques informations sur les conséquences futures mais il est possible de décrire plus précisément le type d’impact sur l’industrie photographique au nord du Japon et les conséquences sur le marché de la photo dans les mois à venir.

Tout d’abord, nous allons pouvoir détailler le type de détériorations immédiates sur les équipements industriels. Et il est vrai qu’un tremblement de terre n’a rien d’anodin, même pour une usine particulièrement bien préparée comme la plupart des établissements japonais. Au delà des vitres cassées ou des objets tombés des étagères, il y a des dégâts internes au site (écroulements de murs ou de toits, machines cassées ou simplement déréglées, etc.) et des dégâts externes (perte de l’approvisionnement en électricité, en eau, en gaz, etc.) Ces dégâts imposent souvent des interventions lourdes par des spécialistes qui ne sont pas toujours immédiatement aptes à intervenir soit à cause du nombre d’interventions similaires, soit parce que l’état des infrastructures routières les empêchent d’approcher. C’est une première étape que doivent passer les entreprises pour évaluer les dégâts immédiats et pour les réparer. Semble-t-il, toutes les entreprises -même à proximité de Sendai- ont franchi ce cap. Nikon, par exemple, a indiqué des dégâts primaires limités à son usine de Sendai. Canon et les autres industriels ont fait le même genre d’évaluations. Il apparait que sauf pour Fujifilm et Pentax, les impacts sont restés relativement limités (ce qui n’interdit pas des dégâts très visibles comme des murs écroulés qui seraient tout à fait considérables dans d’autres circonstances – les échelles de valeur sont totalement transformées dans ce contexte).

Mais il reste une difficulté très spécifique à l’événement sismique de 2011 : le pays a perdu une part importante de sa capacité à produire de électricité et est aujourd’hui soumis à des coupures de courant par rotation qui limitent les possibilités de réaction.

Mais cela introduit surtout les préoccupations très nettes de certaines industries et de certains outils industriels. Dans certaines usines, le fonctionnement est presque obligatoirement continu. Pensons à certains processus continus qui ne peuvent pas vraiment s’arrêter parce qu’ils ont des temps de démarrage et redémarrage très longs : soit pour des temps de chauffe -par exemple pour un haut fourneau sidérurgique, mais aussi pour des productions de barreaux de silicium- qui peuvent se chiffrer en heures ou en jours et ne tolèrent absolument pas de devoir s’arrêter tous les jours, même pour une période courte d’une ou deux heures, soit parce que les réglages sont difficiles ou très difficiles -par exemple, maintenir la propreté extrême d’une salle blanche impose de disposer en continu d’eau et d’électricité.

Cet aspect est terriblement impactant pour des productions spécifiquement sensibles pour les produits de l’industrie photographique :

  • composants électroniques (quand la production est située au Japon, elle subit simultanément le double impact du manque d’eau et d’électricité, et de réglages complexes)
  • industrie du verre (qui utilise des fours dont les temps de chauffe peuvent se compter en jours)
  • fabrication de LCD (très sensible à la propreté des moyens industriels)

Il est désormais avéré que ces éléments sont très imbriqués. Par exemple, certains industriels fournisseurs de LCD ont signalé leur incapacité à fabriquer des produits pour cause de manque d’un ou deux composants électroniques (drivers montés sur le LCD lui-même). D’autres ont indiqué que l’absence d’un constituant des filtres collés en surface d’un module LCD rendait impossible la réalisation de certains afficheurs même si l’usine d’assemblage reste opérationnelle (ce cas semble devoir toucher un très grand nombre d’écran LCD à la suite de l’arrêt d’une usine japonaise bien précise qui est en situation de quasi-monopole mondial). Plus largement, on a entendu des annonces d’arrêt chez Toshiba (deux usines), Texas Instruments (des composants analogiques et de puissance), Fujitsu (pas moins de 5 usines), Nikon (pour des équipements de photo-lithographie qui pourraient empêcher de déployer les prochaines générations de produits chez Intel [5]).

La fabrication de circuits intégrés électroniques ne devrait par contre pas être trop touchée par des difficultés de mise à disposition des barreaux de silicium monocristallin dont la production n’est pas touchée.

Canon n’a pas été très clair, mais il semble que la fabrication de verre chez eux est impactée à un niveau ou à un autre. L’annonce aujourd’hui de retards complémentaires à la disponibilité des télé-objectifs 300mm f/2.8 L EF, 400mm f/2.8 L EF et le zoom 8-15mm f/4 L [1] n’est probablement pas anodine dans ce contexte même si le retard indiqué semble faible ou nul (en tout cas, un fort retard était déjà avéré).

La situation est nettement plus dramatique en matière de composants électroniques. De très nombreux industriels japonais ont annoncé des arrêts significatifs. Quelques uns prédisent d’ores et déjà des interruptions complètes de livraison qui se comptent en mois. Microprocesseurs, drivers variés, régulateurs de tension, ASIC sont touchés. Et les informations les plus impressionnantes ne sont généralement pas lâchées dans le public (les groupes de travail créés par les entreprises clientes et leurs fournisseurs sont face à des situations absolument incontournables). Par exemple, Peugeot a annoncé hier [2] l’arrêt complet de ses chaînes de fabrication de la 308 (Sochaux, Poissy) faute de composants électroniques qui ne sont plus disponibles. Dans ce cas, il s’agit d’un microprocesseur Hitachi (société qui a signalé cinq usines touchées à divers degrés au Japon). A peu près au même moment, General Motors a fait des annonces similaires pour des usines américaines [3] à Shreveport, Louisiana ou à Buffalo, New York. Ces industriels n’ont pas indiqué publiquement le temps prévu pour ces arrêts. Canon, Nikon, Sony, Panasonic, Fuji, Pentax et les autres devront certainement subir de telles situations au moins pour quelques produits.

Et je ferai remarquer qu’il ne s’agit là que de conséquences indirectes moins de deux semaines après le séisme. Mais on sait que Panasonic, Fuji ou Nikon ont des usines qui ont souffert considérablement du tremblement de terre (heureusement, l’usine Nikon de Sendai est située suffisamment haut au dessus de la ville pour n’avoir pas vu le tsunami lui-même). Nikon a d’ores et déjà indiqué être en négociation avec son partenaire Notion VTEC pour déplacer des productions de Sendai en Malaisie.

A cette occasion, on a pu apprendre que certains sous-traitants étaient eux aussi touchés. Et on peut citer à nouveau Notion VTEC qui est un fournisseur critique de barillets métalliques de mise au point (pour objectifs) et de nombreuses autres pièces entrant dans la constitution d’appareils et d’objectifs Canon ou Nikon. On peut aussi confirmer que certaines pièces d’injection, comme le corps en alliage de magnésium de certains appareils photo, sont directement concernés (en attendant annonce publique).

Tout cela explique l’annonce de Canon à propos du retard que va prendre le Canon EOS 1100D (ou Kiss X50) [4]. Là, il s’agit néanmoins de retards mineurs. Mais il reste très probable que la réalité sera tout de même un peu moins optimiste. Fujifilm a aussi annoncé un impact potentiellement important sur la disponibilité immédiate de son X-100 à cause des dégâts à son usine de Taiwa-Cho (à moins de 20 km de Sendai).

Alors la situation est-elle désespérée ? Pas forcément. Il va y avoir des pénuries sur certains produits mais il reste encore difficile de faire des prévisions précises en l’absence d’informations précises (sauf de la part de Canon, plus transparents qu’à l’habitude).

Alors les hausses de prix observées dans les magasins en Europe ou aux USA ne sont actuellement justifiées que par la spéculation de certains vendeurs qui ont choisi de profiter de l’inquiétude. Mais cela ne durera pas forcément. Il est déjà compréhensible que les enchères sur eBay s’envolent pour les Fuji Finepix X100. Mais certains produits vont certainement être tôt ou tard en pénurie réelle.

Ma recommandation ? En attendant d’y voir clair, ne repoussez pas les achats que vous envisagiez sérieusement. Les 6 prochains mois seront sans doute un peu “énergiques” à vivre et vous ne voudrez pas acheter plus que nécessaire à ce moment-là. Sans compter que certains problèmes de qualité pourraient apparaître dans cette période : la remise en production d’outils industriels secoués ou la mise en production de nouveaux outils présentent des difficultés spécifiques qui sont toujours un peu difficiles à régler.

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